Un énorme feu de joie !
 
 



 
"Heureusement il n’y a absolument rien à accomplir."
 
« Je fais remarquer qu'il n'y a pas d'illumination - qu'il n'existe rien de tel. Je le dis parce que toute ma vie durant j'ai avidement cherché à être un illuminé et j'ai découvert qu'il n'existe pas d'illumination, ni rien qui y ressemble. Dès lors la question ne se pose pas de savoir si telle ou telle personne est illuminée ou non.
J'ai découvert pour moi-même et par moi-même qu'il n'y a pas de soi à réaliser - voilà la réalisation dont je parle. Elle vous frappe comme la foudre. Ce coup est écrasant. Vous avez mis tous vos œufs dans le même panier, la réalisation de soi, et en fin de course, soudainement, vous découvrez qu'il n'y a pas de soi à découvrir, pas de soi à réaliser - et vous vous dites à vous-même "Mais bon sang à quoi ai-je donc passé toute ma vie?! Vous en restez anéanti.
Ce que vous poursuivez n'existe pas; c'est un mythe. Vous n'auriez même plus envie d'être mêlé à cette affaire, ni de loin, ni de près.
Je ne sais pas comment vous appelez cela; il me déplaît d'utiliser les mots "illumination", "liberté", "moksha" ou "libération ce sont des vocables pesants, chargés d'une connotation qui leur est propre. Voyez-vous, je maintiens que cela ne peut être suscité par aucun de vos efforts personnels; cela se produit tout simplement.
Mais tout ce que vous pouvez entreprendre en direction du but poursuivi - la recherche de la vérité ou réalité -, tout vous écarte de votre véritable état naturel, celui dans lequel vous êtes toujours. Il ne s'agit pas d'une chose qui se laisse conquérir, atteindre ou accomplir comme l'effet de votre effort - c'est pour cette raison que j'utilise le qualificatif "acausal". Cela n'a pas de cause, mais d'une manière ou d'une autre la recherche prend fin.
Voyez-vous, la recherche vous écarte de vous-même, vous conduit dans la direction opposée. Il n'y a absolument aucun rapport.
Tout ce que vous faites s'oppose irrémédiablement à l'expression de ce qui est déjà présent. Voilà pourquoi je parle de "votre état naturel". Vous êtes déjà dans cet état. Ce qui empêche cela, qui est présent, de s'exprimer, c'est la recherche elle-même. La prospection s'effectue toujours dans la mauvaise direction, ainsi tout ce que vous considérez comme très profond, tout ce que vous tenez pour sacré, est une contamination de cette conscience. (Rires.) Vous pouvez ne pas aimer le mot "contamination", mais tout ce que vous appelez sacré, saint et profond est une contamination.
Il ne s'agit pas de le sentir, et il n'est pas question de le connaître; vous ne connaîtrez jamais. Vous ne disposez absolument d'aucun moyen qui vous permettrait de connaître cela par vous-même; cela commence à s'exprimer de soi-même. Il n'y a pas de... Voyez-vous, je ne sais pas comment dire. La pensée que je suis différent de quelqu'un n'émerge jamais dans ma conscience.
Il n'y a pas de pouvoir en dehors de l'homme. C'est à partir de sa peur que l'homme a créé Dieu. Par conséquent, la peur constitue le vrai problème, et pas Dieu.
Je ne débourserais pas un franc pour un "Bouddha-du-sixième-siècle-avant-J.C.", sans parler des prétendants qui se trouvent parmi nous. Ils forment une belle bande d'exploiteurs, bâtissant leur prospérité sur la jobardise des gens.
Je ne me propose pas de "libérer" qui que ce soit. Vous devrez vous libérer vous-même - et c'est impossible. Tout ce que je peux dire n'y fera rien. La seule chose qui m'intéresse est de décrire cet état et de clarifier toute cette question, car, à grand renfort de chipotages occultes et de mystifications, elle a été travestie par toutes les personnes qui se livrent au "commerce spirituel". J'ai peut-être une chance de vous convaincre de ne pas gaspiller un temps et une énergie considérables, à la recherche d'un état qui n'existe pas, sauf dans votre imagination.
Entendez-moi bien: c'est votre état que je décris, votre état naturel, pas mon état, ni l'état d'un "homme divinisé" quelconque, ni d'un mutant ou quelque chose du même genre. Il s'agit de votre état naturel, et ce qui l'empêche de s'exprimer à sa façon, c'est votre recherche, votre fuite en avant - ce sont vos tentatives pour être autre chose que ce que vous êtes.
Ceci, vous ne le comprendrez jamais; vous ne pouvez l'expérimenter qu'en termes d'expérience passée. Ceci échappe au domaine de l'expérience. Cet état naturel est acausal: cela arrive, tout simplement. Aucune explication n'est possible, et aucune n'est nécessaire. La seule chose qui soit réelle pour vous est votre façon de fonctionner; il est futile de vouloir établir un rapport entre ma description et votre fonctionnement. Lorsque vous renoncez à ce travail de comparaison, ce qui reste est votre état naturel. Alors vous n'aurez plus à écouter personne.
Pourquoi la vie aurait- elle un sens? Au moment même où le bébé arrive au monde il n’est concerné que par la seule survivance. L’instinct du bébé à l’égard de sa nourriture, de sa survie, de sa reproduction semble être le processus vital. C’est la vie qui s’exprime. Un point c’est tout. Inutile d’y voir un sens.
Ne cherchez pas un sens à la vie, il se peut qu’elle n’en ait pas. Il se peut qu’elle en ait une dont vous ne saurez jamais rien.
L’impuissance et l’accablante frustration sont inévitables tant que votre existence est liée à l’espoir de la réalisation parce qu’il n’y a pas de réalisation. C’est là la source de votre dilemme.
Le futur est créé par l’espoir et c’est le seul futur qui existe. L’espoir de réaliser votre objectif, l’espoir d’atteindre l’illumination, l’espoir de sortir du manège — voilà l’avenir… Le point à partir duquel vous vous projetez dans l’avenir vous semble être le présent, le maintenant. Mais c’est faux. Il n’y a là que le passé en opération et ce mouvement crée l’illusion du présent et du futur. Vous pouvez trouver ce que je viens de dire logique ou illogique, vous pouvez l’accepter ou le rejeter mais dans tous les cas cela appartiendra au passé car c’est là tout ce qui opère en vous. C’est le passé qui a fixé ces objectifs. Dieu, l’illumination, la Paix et l’âme et a placé tout cela dans l’avenir, hors d’atteinte. Le bonheur est donc pour l’avenir, pour demain. Un homme heureux ne se soucie pas de chercher le bonheur. Un homme bien nourri n’est pas en quête de nourriture.
Il n’y a que le passé. Il vous a été dit par les dévots qui parlent d’illuminations et d’autres fadaises que le passé doit prendre fin avant que vous puissiez être libre d’opérer dans le présent et réaliser vos potentielles ou futures possibilités. Tout ce que je peux vous garantir, c’est qu’aussi longtemps que vous chercherez le bonheur vous resterez malheureux. C’est un fait. La société est si organisée, si complexe que vous ne pouvez survivre qu’en acceptant le mode de vie qui y règne ainsi que les bornes qu’elle impose. Nous devons accepter la réalité sociale qu’elle nous plaise ou non. Mais ce n’est pas de cela que nous parlons. Ce dont nous parlons est autre. Toutes vos relations, votre connaissance, vos expériences, toutes vos émotions, vos sentiments, tout ce fatras romantique appartient en totalité à la société, pas à vous. Vous n’êtes pas une individualité, vous êtes des gens de seconde main. C’est seulement quand vous êtes libéré de ce que chaque homme, chaque femme a pensé, a senti avant vous que vous deviendrez un individu. Cet individu ne va pas se mettre à détruire tout ce qui appartient à la société, il n’est pas en conflit avec elle. Il ne jettera pas à bas les temples et les institutions, il ne brûlera pas les livres que les hommes ont confectionnés avec un soin attentif. Il ne se propose pas d’être un rebelle. Toute la connaissance accumulée, l’expérience, la souffrance humaine est en vous. C’est en vous que vous ferez un énorme feu de joie.

Et c’est alors que vous deviendrez un individu. Il n’y a pas d’autre voie. La société est fondée sur le conflit et vous êtes la société. Vous devez donc être en conflit avec elle. L’individu authentique, celui qui est désormais libéré de la tradition accumulée et de la connaissance de l’espèce humaine est nécessairement une menace pour la société. La société dont vous faites partie ne peut être que ce qu’elle est, cessez donc vos efforts pour la sauver ou la changer. Vous ne pouvez même pas changer de belle-mère ! Vous ne pouvez pas à la fois vouloir vous transformer et découvrir que vous ne le pouvez pas. Le « changement » dont vous parlez n’est qu’une élucubration fantaisiste. Vous ne changez pas, vous vous bornez à penser au changement. Aussi longtemps que vous avez l’intention de vous changer, vous aurez celle de changer le monde entier. Vous voulez un monde différent où vous seriez heureux, c’est votre seul souci. Vous pouvez bien parler de l’espèce humaine, de vos préoccupations pour elle, de la compassion pour elle… Tout ça c’est de la crotte de bique… Cela je le récuse. Tout d’abord pourquoi empêcheriez-vous le passé d’interférer dans le présent? Prenons clairement conscience que cette idée que le passé doit mourir, que le temps doit venir à son terme vous a été soufflée par ceux qui se sont institués gardiens de votre « âme » : les prêtres, saints hommes et sauveurs de l’espèce humaine. Vous devez saisir très clairement les implications issues de cette suggestion relative à la fin de l’influence du passé. Elle est en fait dangereuse et calamiteuse. Pour découvrir la fin du temps, le passé, vous devez utiliser le passé, vous n’arrivez qu’à perpétuer le passé. C’est un fait — qu’il vous plaise ou non. Tout ce que vous faites : nourrir de bonnes pensées, se conduire d’une manière désintéressée, considérer la vie d’une manière négative, plutôt que positive, écouter les saints, m’écouter moi. Tout cela alimente la force vive du passé. Toutes les techniques et méthodes de réalisation viennent du passé et sont, pour cette raison, inutiles. Heureusement il n’y a absolument rien à accomplir.
Votre recherche du bonheur est en réalité fondée sur l’intérêt personnel et la naïveté. Vous êtes en toutes circonstances un chercheur de plaisir et votre idéal de noble bonheur est tout simplement un plaisir sans fin et sans peine… Quand vous percevez, si toutefois cela vous arrive, l’absurdité de cette approche, vous vous dites alors « si je pouvais trouver Dieu et l’illumination, je serais libre du désir contradictoire d’avoir l’un (le plaisir) sans l’autre (la peine) ». Et cela devient votre objectif qui prendra pas mal de temps à se réaliser. Vous êtes revenu à votre point de départ. Exiger que cesse la continuité du mouvement du passé est ridicule et ne se justifie pas. Nous avons subi, de la part de ces gens-là, un lavage de cerveau destiné à nous libérer du passé dès cette vie et tout devait être mirobolant, plein de lumière et de douceur. Ce n’est là que lavasse romantique, purs fantasmes de mouflet. — Rien de plus. Vous vous êtes malheureusement entiché de ces balivernes. Et que pouvez- vous faire? Toutes vos actions appartiennent au passé et tout ce que vous faites ne peut que resserrer l’emprise du plaisir et de la peine sur vous. En fin de compte, tout est souffrance — sans plaisir. Je peux dire cela en toute certitude mais vous êtes si outrecuidant grâce à votre foi dans l’intemporel et dans le salut! Il est donc impossible pour nous de communiquer, ce que je dis, si vous l’écoutiez vraiment, mettrait définitivement fin à l’homme que vous êtes, tel que vous vous connaissez par expérience mais vous ne m’écoutez pas du tout. Votre soi-disant écoute se situe entièrement dans le passé. La constante interprétation à la lumière du passé, de mes dires vous empêche d’être attentif à ce qui est vraiment dit. Comment vous êtes décidé à provoquer un changement (notion qui vous a été inculquée par votre culture) vous vous sentez mécontent et vous souhaitez un monde différent. Quand votre exigence intérieure d’être différent de ce que vous êtes aura cessé, l’exigence névrotique de transformer la société disparaîtra. Alors vous ne pourrez plus être en conflit avec la société. Vous serez en harmonie complète avec cette société y compris ses brutalités et ses misères. Toutes vos tentatives pour transformer cette société brutale ne font que renforcer ses désordres. Cela ne veut pas dire que l’homme libre est indifférent, tout au contraire. En tout cas, c’est vous qui pour l’heure êtes indifférent. Vous vous bornez aux paroles et aux pleurnicheries mais — excusez-moi! — vous ne faites rien!
A moins d’être en paix avec vous-même, il n’y aura pas de paix dans le monde. Mais quand serez-vous en paix avec vous-même? Dans l’autre vie? Pas question! Vous verrez! Même alors vous ne pouvez pas être sûr que votre société sera pacifique. Les gens ne seront pas en paix. C’est quand vous serez en paix avec vous-même que cette histoire prendra fin.
La compréhension de soi est la plus réjouissante farce perpétrée à l’égard des jobards et des crédules. En profitent non seulement les vendeurs de la sagesse ancienne — les dévots — mais aussi les savants modernes. Les psychologues adorent parler de la connaissance de soi, de l’actualisation du soi, de la vie d’instant en instant et tout ce baratin. Ces idées absurdes nous sont jetées à profusion comme si elles étaient nouvelles.
C’est très difficile d’être comme tout le monde, d’être ordinaire. La médiocrité exige une grande dépense d’énergie. En revanche il est facile d’être soi-même… Aucun effort n’est nécessaire. Vous n’avez pas à faire preuve de volonté. Vous n’avez rien à faire pour être vous-même. Mais devenir quel- qu’un d’autre demande de votre part beaucoup d’activités. L’ennui et l’inquiétude qui est en vous viennent de ce que vous pensez que vous devriez faire quelque chose de plus intéressant, de plus sensé, de plus valable que ce que vous faites. Vous pensez que votre routine habituelle est terriblement fastidieuse, qu’il doit y avoir des occupations plus valables, plus énergiques, plus excitantes. Et tout cela s’intègre dans le savoir complexe que vous avez de vous-même. Mais plus vous en savez sur vous, plus il vous devient impossible de devenir humble et sensible. Comment l’humilité pourrait- elle coexister avec tant de savoir?
Ce que vous recherchez n'existe pas. Vous préféreriez vous promener sur une terre d'enchantement, avoir la bienheureuse vision d'une transformation de votre soi inexistant afin de réaliser un état d'être évoqué a coup de formules magiques. C'est précisément cela qui vous arrache à votre « état naturel » - un mouvement en dehors de vous-même. Etre soi-même exige une extraordinaire intelligence. La «bénédiction» de cette intelligence, vous la possédez ; personne n'a besoin de vous la donner, personne ne peut vous la prendre. Celui qui la laisse s'exprimer à sa manière particulière est un homme naturel. »
 
 
U.G Krishnamurti