LE VIJNANA BHAIRAVA TANTRA


d'après DANIEL ODIER



LUMIERE - ESPACE

Marchant, dormant, rêvant, connais-toi en tant que présence lumineuse et spatiale.
Dans l'espace vide qui sépare deux instants de conscience, se révèle la spatialité lumineuse.
L'attention fixée sur un seul objet, qu'on se relâche dans la plénitude spatiale.
Lorsque l'on saisit la spatialité lumineuse en son propre corps, on se libère de la dualité et tout s'intègre à cette spatialité.
Suppose que ton corps est pure spatialité lumineuse contenue par la peau et accède au sans limite.
Chaque perception permet d'accéder à la pure spatialité. Connais cette puissance.
Sens-toi comme si tu te diffuses dans toutes les directions infiniment.
Perçois l'esprit comme une poudre d'or d'une indicible finesse et répands-la dans l'espace en partant du coeur.
Effleure tes paupières avec les index, entre les yeux une luminosité ouvre le Coeur ,et là, se révèle l'espace tout entier.
Laisse l'éther te pénétrer, fonds-toi dans l'indicible spatialité.
En un instant, perçois la non-dualité en un point du corps, pénètre cet espace infini et accède à l'essence, libéré de la dualité.
Pénètre dans la spatialité lumineuse, sors de l'espace et du temps, sois Bhairava.



RESPIRATION

Entre deux respirations, fais l'expérience de l'espace infini.
Dans toute activité, concentre-toi sur l'espace qui sépare l'inspiration de l'expiration. Ainsi tu accèderas à la félicité.
A travers le mouvement du souffle, entre l'expiration et l'inspiration, deux espaces vides te seront révélés : Bhairava et Bhairavî.
Le corps relâché au moment de l'expiration et de l'inspiration, perçois le centre de l'énergie (Coeur) ou l'Essence absolue.
Lorsque tu as inspiré ou expiré complètement et que le mouvement s'arrête de lui-même, dans cette pause universelle, la notion du "moi" disparaît.
Concentre l'attention entre les deux sourcils, garde ton esprit libre de toute pensée, laisse la forme se remplir avec l'essence de la respiration jusqu'au sommet de la tête et là, baigne dans la spatialité lumineuse.
Avec la plus grande pénétration, concentre-toi sur les jonctions de la respiration et saisis celui qui connaît.
Il y a une sphère de changement ,de mouvement, de mutation, à travers ces transformations, dépasse le mouvement et atteinds la spatialité.



OBSCURITE

Pendant une nuit noire et sans lune, les yeux ouverts sur les ténèbres, laisse ton être tout entier se fondre dans cette obscurité et accède à la forme de Bhairava.
Les yeux clos, dissous-toi dans la couleur sombre qui apparait, puis ouvrant les yeux, identifie-toi à Shiva.



LE SON

Visualise une lettre, laisse-toi remplir par sa luminosité. La conscience ouverte, entre dans la sonorité de la lettre puis, dans une sensation de plus en plus subtile, lorsque la lettre se dissout dans l'espace, sois libre.
Prononce de tout ton être un mot finissant par le son "AH" et dans le "H" atteins la spontanéité.
Chante le mantra AUM avec présence et lenteur, entre dans le son, glisse dans la liberté d'être.
Concentre-toi sur le son AUM sans percevoir ni le A ni le M et, par cette énergie, atteins la spatialité.
Arrête la perception du son en te bouchant les oreilles. En contractant le rectum (mûla-bandha), entre en résonnance et touche ce qui n'est soumis ni à l'espace ni au temps.
Entre dans le centre du son comme dans le son continu d'une cascade, ou , en mettant les doigts dans les oreilles, entends le son des sons.
Concentre-toi sur le début ou la fin d'un son puis accède à la plénitude ineffable.
En étant totalement présent à la musique, entre dans la spatialité avec chaque son qui émerge et se dissout dans cette spatialité.
Chante un son clairement puis de plus en plus doucement jusqu'au silence. Ta connaissance vient de cette harmonie silencieuse.
La bouche ouverte, place ton esprit dans ta langue au centre de la cavité buccale, avec l'expiration émets le son HA et connais la présence paisible au monde. (sl. 81)



MELANGE
Treize voies diverses

Imagine les cinq cercles colorés de la plume d'un paon comme étant tes cinq sens disséminés dans l'espace illimité, et réside dans la spatialité de ton propre Coeur. (sl. 32)
Dans une position confortable, une zone de spatialité lumineuse se diffuse graduellement entre les aisselles, ravit et épanouit le Coeur, et cause une paix profonde.
Au bord d'un puits, sonde, immobile, sa profondeur jusqu'à l'émerveillement et fond toi dans l'espace.
Regarde un bol sans en voir les côtés ou la matière. En peu de temps prend conscience de la spatialité.
Quel que soit l'objet de contemplation, il est la matrice de la spatialité de ton propre esprit.
Assis confortablement pieds et mains dans le vide, accède à l'espace de la plénitude ineffable.
Saisis que la réalité spatial de Bhairava est présente en toute chose, et sois cette réalité.
Bouche les sept ouvertures de la tête avec tes mains et fond-toi dans l'espace entre les sourcils.
Jouissant de l'extrême bonheur des mouvements de ton corps, l'esprit paisible, coule-toi dans l'esprit divin.
Pique un endroit de ton corps et, par ce point unique, accède au domaine lumineux de Bhairava.
Séjourne dans un lieu infiniment spacieux, dépourvu d'arbre, de colline, d'habitation; de là vient la détente de l'esprit.
L'intensité de l'adoration qui s'écoule dans l'espace, libère et fait accéder au domaine de Shiva.
La gracieuse Devi entre en toi. Sa présence éthérée dilue ton corps dans l'espace.



PLAISIR - DESIR

A l'instant où ton attention s'éveille par l'intermédiaire des organes des sens, pénètre dans la spatialité de ton propre coeur.
Ressens ta substance : os, chair et sang; saturée par l'essence cosmique, et connais la suprême félicité.
Considère les vents comme ton propre corps de félicité. Au moment où tu frémis, considère simultanément la spatialité au sommet et à la base, et accède à la présence lumineuse.
Lorsque tu caresses, entre dans la caresse comme dans la plénitude ineffable de l'espace.
Lorsque tu pratiques la Grande Union (Maithuna), que la pensée réside dans le frémissement des sens comme le vent dans les feuilles, accède alors à la félicité spatiale de l'amour.
Au début de l'union, sois dans le feu des énergies libérées par la jouissance intime; fonds-toi dans la divine Shakti et continue de brûler dans l'espace sans connaître les braises à la fin (Rétention du sperme).
La jouissance de la félicité intime née de l'union peut se reproduire à tout moment par la présence lumineuse de l'esprit qui se remémore intensément cette jouissance.
Là où la pensée trouve satisfaction, l'essence de la félicité suprême sera révélée si l'on demeure en ce lieu sans fluctuation mentale.
Fonds-toi dans la félicité éprouvée lors de la jouissance musicale ou celles qui ravient les autres sens. Si tu n'es plus que ce bonheur, tu accèdes au divin.
En état de désir extrême, pénètre dans ton propre coeur et découvre l'apaisement.
Lorsque tes sens frémissent, entre dans l'énergie du souffle, et, au moment où tu sens un fourmillement (pipîlasparsha), connais la joie suprême.
O Bien-Aimée! ne réside ni dans le plaisir ni dans la souffrance, mais sois constamment dans la réalité ineffable et spatiale qui les relie.

Le désir existe en toi comme dans les autres. Réalise qu'il se trouve aussi dans les objets et tout ce que l'esprit peut saisir. Alors découvre l'universalité du désir, pénètre son espace lumineux.
Lorsque ton esprit vagabonde extérieurement ou intérieurement, c'est là précisément que se trouve l'état shivaïte. Où donc la pensée pourrait-elle aller pour lui échapper ?
Lors d'euphorie causée par les mets et les boissons délicats, sois tout entier dans cette abondance et, à travers elle, goûte à la félicité.
L'esprit est en toi et tout autour de toi. Lorsque tout est pure conscience spatiale, accède à l'essence de la plénitude.
Lorsque se manifeste le désir de connaître, réalise immédiatement la spatialité de la connaissance elle-même.
Lorsque la pensée se dirige vers un objet, utilise cette énergie. Dépasse l'objet, et là, fixe la pensée sur cet espace vide et lumineux.
Lorsque tu retrouve un être aimé, sois totalement dans cette félicité et pénètre cet espace lumineux.
Si tu perçois l'univers tout entier comme une fantasmagorie, la joie ineffable surgira en toi.
O Bien-Aimée! les sens anéantis dans l'espace du Coeur, réside en son centre et connais la béatitude suprême.



REGARD - CIEL

O Déesse, écoute l'ultime enseignement mystique : il suffit de fixer son regard sur l'espace, sans cligner, pour accéder à la spatialité de son propre esprit.
De même, en fixant le regard sans cligner sur un caillou ou un morceau de bois, la pensée perd tout support et accède à Shiva.
Le regard ouvert sur un ciel très pur, sans cligner, la tension se dissout avec le regard, et là, atteins la merveilleuse stabilité bhairavienne.
Ferme les yeux, dirige le regard vers l'intérieur, et là, vois la spatialité de ta vraie nature.
Lorsque la vue d'un certain lieu fait émerger des souvenirs, laisse ta pensée revivre ces instants ,puis, lorsque les souvenirs s'épuisent, un pas plus loin, connais l'omniprésence.
Regarde un objet, puis, lentement, retire ton regard. Ensuite, retire ta pensée et deviens le réceptacle de la plénitude ineffable.
Vois l'espace entier comme s'il était absorbé par ta propre tête, laisse-toi être cet espace.
En été, lorsque tu vois le ciel entier, clair à l'infini, pénètre dans cette clarté qui est l'essence de ton propre esprit.
L'entrée dans la spatialité de ton propre esprit se produit au moment où l'intuition se libère par la fixité du regard, la succion ininterrompue de l'amour, les sentiments violents, l'agonie ou la mort.


LE YOGA DU REVE

Quand tu accèdes à Bhairava en dissolvant la dualité en état de veille, que cette présence spatiale continue dans le rêve, et que tu traverse ensuite la nuit du sommeil profond, tu connais l'infini splendeur de la conscience éveillée.
Arrive à une respiration intangible, concentré entre les deux yeux, puis avec la lettre AUM, laisse la descendre jusqu'au Coeur et là, dans la Présence lumineuse, au moment de l'endormissement, tu atteindras la maîtrise des rêves et saisiras le mystère de la mort elle-même.(*)
Au moment de t'endormir, lorsque le sommeil n'est pas encore venu et que l'état de veille disparaît, à cet instant précis, connais la suprême Déesse.
Lorsque tu es allongé, vois ton corps comme privé de support. Laisse ta pensée se dissoudre dans l'espace, alors le contenue de la Conscience de tréfonds se dissoudra lui aussi, et tu connaîtras la pure Présence, libéré du rêve.

Remarque : Position pour dormir :
- Pour les hommes : couché sur le côté droit, bouchez la narine droite avec l'auriculaire de la main droite.
- Pour les femmes : couchée sur le côté gauche, bouchez la narine gauche avec l'auriculaire de la main gauche.
(*) Visualisez le AUM, réduisez-le, ensuite chargez-le d'une réduction de l'univers, mettez-le à l'intérieur de l'Ajna chakra, puis visualisez la lignée des Maîtres et voyez-la se dissoudre dans le AUM. Puis faites descendre le AUM par le canal central jusqu'au Coeur.

L'ARRET

Au moment précis ou tu as l'impulsion de faire quelque chose, arrête-toi. Alors n'étant plus dans l'impulsion qui précède ni dans celle qui suit, la réalisation s'épanouit avec intensité.
Lorsqu'un obstacle s'oppose à la réalisation, saisis cette instant de vacuité spatiale qui est l'essence de la méditation.
Dans la stupeur ou l'anxiété, à travers l'expérience des sentiments extrêmes : quand on surplombe un précipice, qu'on fuit le combat, qu'on connaît la faim ou la terreur, ou même lorsque l'on éternue; l'essence de la spatialité de son propre esprit peut être saisie.
Lorsque tu prends conscience d'un désir, considère-le le temps d'un claquement de doigt, puis soudain abandonne-le. Alors il retourne à l'espace duquel il vient de surgir.
Erre ou danse jusqu'à l'épuisement, dans une totale spontanéité. Puis, brusquement, laisse-toi tomber sur le sol et, dans cette chute, sois entier. Alors se révèle l'essence absolue.



CHAKRA

Le canal central est la Déesse, telle une tige de lotus, rouge à l'intérieur, bleue à l'extérieur. Il traverse ton corps. En méditant sur lui, tu accèderas à la spatialité divine.
Fixe ton esprit dans le centre supérieur (Ajna chakra ou 3ème oeil) en te livrant aux activités du monde, ainsi l'agitation disparaît et en quelques jours tu connais l'indescriptible.
Considère ton essence comme une vive luminosité portée de centre en centre, de bas en haut, par l'énergie du souffle au travers de la tige de lotus. Lorsqu'elle s'apaise dans le centre supérieur, c'est l'éveil de Bhairava.
Réside simultanément dans la spatialité : de la base, de celle du coeur et de celle du sommet. Ainsi, par l'absence de pensée dualisante, s'épanouit la Conscience divine.
Le Coeur (hridaya) s'ouvre et, de centre en centre, la Kundalinî s'élance comme l'éclair. Alors l'éveil se produit.


ETHIQUE

La pureté, exaltée par les religieux ignorants, semble impure au tântrika. Affranchis-toi de la pensée dualisante et ne reconnait rien comme pur ou impur.
En réalité il n'y a ni lien ni libération. Ces mots sont les masques de ceux qui sont terrifiés par le monde. Ils ne sont qu'un double reflet du soleil sur les eaux de l'esprit.
Ressens la conscience de chaque être comme ta propre conscience.


FEU


Concentre-toi sur un feu de plus en plus puissant qui monte de tes pieds et te consume entièrement. Lorsqu'il ne reste que des cendres dispersés par le vent, connais la tranquillité de l'espace qui retourne à l'espace.
Vois le monde entier transformé en un gigantesque brasier. Puis, lorsque tout n'est que cendre, entre dans la béatitude.


NOTIONS ET CUIRASSES


Sans la pensée dualisante, comment la conscience pourrait-elle être limitée ?
L'illusion perturbe, les cinq cuirasses obstruent la vision, les divisions sont artificielles.(*)
Les vagues surgissent de l'océan et y retournent, les flammes s'élèvent puis s'éteignent, le soleil surgit puis disparaît. Ainsi tout trouve sa source dans la spatialité de l'esprit et y retourne.
Libère l'esprit de tout support et accède à la non-dualité. Alors, Femme aux yeux de gazelle, le soi limité devient le Soi absolu.
Lorsque tu affirmes :"j'existe", "je pense ceci ou cela", "telle chose m'appartient"; accède à ce qui n'a pas de fondement et, au-delà de telles affirmations, connais l'illimité et trouve la paix.
Considère la forme présente comme un espace illimité, alors la racine même de la dualité se dissout
Suppose que tu es graduellement privé d'énergie et de connaissance, à l'instant de cette dissolution, ton être véritable te sera révélé.
Suppose que tu contemple quelque chose au-delà de la perception, de la distinction, insaisissable, au-delà de l'être et du non-être : Toi-même.
Toi, au coeur ouvert et doux, médite sur ce qui ne peut être connu, sur ce qui ne peut être saisi, tout le différencié étant hors d'atteinte, où donc la conscience doit-elle se fixer pour échapper à l'éveil ?
L'attachement au corps se dissout, la joie et la félicité se lève lorsque tu réalises que tu es partout.
Le bonheur réside dans l'égalité des sentiments extrêmes. Réside en ton propre Coeur, accède à la plénitude.
Avant de désirer, avant de savoir :"Qui suis-je, où suis-je ?"; telle est la vraie nature du "Je", telle est la spatialité profonde de la réalité.


Tout être vivant perçoit sujet et objet, mais le tântrika réside dans leur union.
La Conscience est partout, réalise-le profondément.
Connaissance et connu sont d'une essence unique : le Soi resplendit.
En vérité, les formes ne sont pas divisées. Ton être omniprésent et ta propre forme repose dans l'unité. Réalise que chacun est fait de cette Conscience.
Toute connaissance particulière est fallacieuse par nature. Accède donc à la Connaissance absolue et sois Shiva.
Bien-Aimée, à cet instant, délaisse l'esprit, le savoir, la respiration, la forme, et embrasse la totalité.


(*) Les cinq cuirasses : le temps, l'espace, le manque, la limitation dans la connaissance, la limitation dans la créativité.

Ces cinq cuirasses sont comme entourées d'une sixième et suprême cuirasse qui est celle de mâyâ, l'Illusion globale qui soude ces différentes cuirasses et leur assure une cohésion.
Voir à ce sujet les pages 103 à 108 de l'ouvrage : Tantra - L'initiation d'un occidental à l'amour absolu - de Daniel Odier - Edit. J.C Lattès



O Déesse, je viens de t'exposer les enseignements mystiques ultimes que rien ne surpasse. Qu'ils ne soient transmis qu'aux êtres généreux, à ceux qui vénèrent la lignée des Maîtres, aux intelligences intuitives et à ceux qui les mettront en pratique. Car sans pratique, la transmission se dilue, et ceux qui ont eu la merveilleuse occasion de recevoir ces enseignements retournent alors à la souffrance et à l'illusion.
O Dieu, j'ai maintenant saisi le coeur des enseignements.

Alors Shiva et Shakti, plein de béatitude, s'unirent à nouveau dans l'indifférencié.



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